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Axe 2 : Cultures de l’Europe et des Nouveaux Mondes


Le deuxième axe de travail proposé dans le cadre du projet de la nouvelle équipe concerne des programmes relevant de l'histoire et de l'étude des civilisations. Cette étude ne peut se limiter à une simple juxtaposition de points de vue. La collaboration d’enseignants-chercheurs des différentes disciplines représentées est une condition nécessaire, mais non pas suffisante, de l’analyse opératoire et commune de cette thématique : que l’analyse porte sur l’ensemble des cultures ou sur une culture en particulier.

Les enseignants-chercheurs travaillant dans cet axe souhaitent explorer principalement l’histoire politique et culturelle, et l’histoire des idées : notamment à travers les théories de la nation, de l’Etat, de l’empire et de la citoyenneté, ainsi que celle des études postcoloniales. Les principaux champs d’investigation de l’axe sont : les concepts mêmes d’ « État », d’ « État-nation » et d’« Empire » ; les diasporas, les migrations, contacts, transferts et échanges entre populations européennes et celles des nouveaux mondes; la (dé-)construction d’identités nationales et culturelles ; (l’histoire de) la pensée et des institutions politiques européennes et leurs extensions dans les « nouveaux mondes » des Amériques et de l’Afrique. L’ethnomusicologie, eu égard à la place du fait musical dans le colonialisme (notamment en Afrique Noire) et à son rôle capital à l’époque des Indépendances, enrichira la dimension transversale de cet axe de recherche. La musicologie du jazz éclaire de façon privilégiée, pour sa part, tant le domaine des transferts et des échanges entre l’Europe et les nouveaux mondes que la problématique de l’identité culturelle.

Depuis les trois dernières décennies, environ, le développement de nouvelles formes de pluridisciplinarité participe au renouvellement des études sur les cultures et les civilisations. Dans la perspective de certaines de ces recherches transversales (études culturelles, études postcoloniales, études sur les groupes subalternes), la genèse des notions de culture et de civilisation se rattache à des formes historiques particulières de l'hégémonie (Empires, État-nation, métropole coloniale, « impérialismes » libéraux et républicains, « mondialisation » asymétrique).

Le concept d’« empire », ainsi que l’influence des empires et de l’impérialisme, sont des questions au centre de la réflexion en sciences humaines. L’expansion impériale a, pendant plusieurs siècles, structuré les appareils d’état et le rapport au monde des territoires colonisés et des nations-métropoles : l’histoire politique, l’évolution constitutionnelle et la construction même du savoir européen, sont intimement liées à ce processus. Depuis 1945, la décolonisation, puis la mondialisation, ont radicalement révisé les modèles imposés par l’hégémonie européenne : d’abord à travers de nouveaux rapports économiques, puis par des replis identitaires dans les anciennes puissances impériales de l’Europe, et enfin par la radicale remise en cause des modèles européens de la connaissance. Au cœur de ces grandes mutations se situe en permanence, le concept d’« empire », et la permanence de la problématique opposant le pouvoir et le savoir. En proposant une interrogation qui se veut à la fois historique et conceptuelle, des spécialistes de l’Allemagne, du monde anglophone, du monde ibérique et de l’Italie, souhaitent mettre en regard et faire dialoguer des approches critiques et méthodologiques différentes, mais complémentaires. L’objectif est de pratiquer une lecture plurielle des principales caractéristiques de l’objet « empire » et d’en démontrer la pertinence pour comprendre la construction, la dissémination et la révision des formes spécifiques assumées par l’autorité.

S’il est important de pouvoir cerner avec plus de précision le périmètre de l’ « empire », ceci peut difficilement se faire sans référence au concept de « modernité » auquel l’entreprise impériale est si intimement liée. Or, le cas des cultures méditerranéennes, notamment, paraît utile en ce qu’il nous apprend sur la définition de la « modernité ». Ces cultures seraient « archaïques », la tradition s’y imposant envers et contre une technocratie étatique : les sociétés méditerranéennes paraissent figées dans une posture de résistance à la modernité en marche. Mais la « modernité », depuis la Révolution française, n’est-elle pas justement le propre de la nation, celle-ci se réservant le droit, pour faire avancer la modernité, de s’opposer au pouvoir des classes dirigeantes ? L’ « archaïsme » de la société méditerranéenne ne découle-t-il pas de sa tendance spontanée à se constituer en contre-pouvoir, sans en passer nécessairement par les conduites insurrectionnelles et révolutionnaires, et à proposer donc un autre modèle, une autre manière de rendre effectif le face à face moderne entre société et Etat ?

La réflexion commune sur cette modernité d’un autre type pourrait prendre appui dans un premier temps sur quatre caractéristiques transversales des cultures méditerranéennes: la pluralité et la vitalité linguistiques ; la littérature régionale (sans être forcément « régionaliste ») ou transnationale, notamment ces points d’ancrage ou carrefours culturels féconds que représentent certaines cités ou certaines îles ; les institutions et, en particulier, le métissage des modèles juridiques ; la manière dont les sociétés méditerranéennes accueillent et intègrent, voire s’approprient les éléments culturels exogènes. Ces quatre pistes, comme on le voit, dépassent très largement une perspective purement littéraire et appellent tout naturellement une approche résolument multidisciplinaire.

L’objectif principal de cet axe est donc de mieux définir quelles sont les spécificités et quelles sont les constantes de la « culture » et de la « civilisation » dans les différentes aires culturelles concernées, notamment à travers le cycle, voire la dialectique qui se développe entre culture et civilisation, d’un côté, et hégémonie de l’autre. Comment la construction de diverses formes d’hégémonie interagit avec la culture et la civilisation ? Comment celles-ci sont-elles, à leur tour, affectées par les hégémonies ainsi construites ? C’est-à-dire quelles sont, exactement, les diverses formes d'autorité — culturelle, sociale, politique — qui participent dans le processus de construction d’une hégémonie, et comment ces formes d'autorité se transforment-elles au cours du processus, une fois celui-ci déclenché ? Il s’agit, in fine, de situer les points de contact, ainsi que la nature et l’étendue des interactions entre culture, civilisation et idéologie.

C’est de cette manière que les enseignants-chercheurs engagés dans cet axe entendent, au-delà des acceptions les plus courantes de l’« autorité », renouer avec la longue histoire de cette notion cruciale et complexe, et en éclairer les versants — multiples, mais reliés entre eux — en faisant converger les approches de l’histoire des idées, de la philosophie politique et des sciences sociales. Il convient, en effet, de se pencher dans le détail sur une notion qui est partout présente de nos jours — principalement sous la forme d’un indicateur de performance des éthiques ou des systèmes de gouvernance : l’autorité étant invoquée soit à des fins réactionnaires sur le mode doloriste, de la lamentation, du déclin ; soit pour chanter quelque aspect de la permissive society. La « crise » de l’autorité n’est guère nouvelle, la remise en cause de l’autorité ne l’est pas davantage. Mais au-delà des références pléthoriques à l’autorité, voire des instrumentalisations qui en sont faites, quel est le rôle social jouée par elle ? Comment tel ou tel comportement s’impose-t-il aux dépens des autres ? Quels sont — pour le philosophe, l’historien des idées ou de la culture — les modèles possibles à divers moments ? Comment se construisent-ils ? Comment s’imposent-ils aux yeux des puissants comme à ceux qui se soumettent ?